Hommages & témoignages

Récit du voyage du souvenir effectué en 2005

INVITATION AUX SOUVENIRS

ETE 2005 Depuis longtemps mon grand père, le Lieutenant François PRUAL, à l’occasion de conversations que j’ai pu avoir avec lui, en grandissant, m’avait à plusieurs reprises entretenu de certains de ses souvenirs de captivité. Je possédais ainsi, même si celle-ci était très parcellaire et ponctuelle, une certaine idée visualisée par quelques photographies des conditions d’existence de mon grand père, pendant toutes ces années de 1940 à 1945, époque qui, pour moi né en 1973, est déjà du domaine de l’histoire… Courant Mai dernier, approximativement 65 ans après l’arrivée à GROSS-BORN d’une partie des prisonniers français, mon père ne pouvant répondre positivement au projet d’Etienne JACHEET de se rendre en POMERANIE, sachant que je disposais de temps libre, m’a suggéré de le remplacer pour ce voyage de mémoire. J’ai accepté avec grand plaisir précisément en mémoire de mon grand-père et de tous ceux qui se sont battus en 39-40 et qui se sont retrouvés, après la défaite, en captivité en Allemagne. TROIS JOURS EN POMERANIE PLUS DE 60 ANS PLUS TARD A ARNSWALDE ET GROSS BORN

LE JEUDI 9 JUIN Rendez-vous avec Etienne JACHEET et sa sœur Madame Claire NODDINGS à l’aéroport d’ORLY vers 6 heures du matin pour envol vers l’Allemagne. Arrivée vers 8 H 30 à l’aéroport de BERLIN SCHOENEFELD où une voiture de location nous attend. Nous quittons BERLIN par une belle journée ensoleillée. Avant de rejoindre STETTIN devenue POLONAISE nous nous rendons au camp de concentration de RAVENSBRUCK aujourd’hui grand terrain vague recouvert de pierres volcaniques noires. Seuls les bâtiments en dur ayant résisté au temps rappellent les traitements épouvantables auxquels étaient soumises les femmes internées et leurs conséquences dramatiques. Parmi les dizaines de milliers de déportées qui sont retrouvées à RAVENSBRUCK la liste affichée des nationalités révèle la présence insolite d’une chinoise et d’une égyptienne… Quel funeste destin a bien pu entraîner ces deux inconnues au milieu de tous ces milliers de malheureuses. Nous avons également salué la mémoire de Geneviève DE GAULLE-ANTHONIOZ internée dans ce camp. La visite de RAVENSBRUCK achevée nous sommes repartis pour la POLOGNE. Arrivée en fin d’après-midi à SZCZECIN (STETTIN) où nous étions attendus par le Docteur Boleslaw PAWLOSKI, Officier de réserve polonais, et neurologue à la retraite, ancien résistant de l’AK, la résistance non communiste qui fût à l’origine du soulèvement de VARSOVIE de 1944. « BOLEK » qui va être notre très fidèle interprète, nous accueille devant chez lui, une grande maison style chalet située dans un quartier résidentiel en banlieue de la ville où nous sommes hébergés, occasion pour Etienne JACHEET de chaleureuses retrouvailles avec son ami.

Nous sommes invités par BOLEK à dîner le soir dans un restaurant à la gastronomie typiquement polonaise. Ambiance conviviale très sympathique.

LE VENDREDI 10 JUIN Départ matinal de SZCZECIN pour CHOSZCZNO (ARNSWALDE) où nous devons participer aux cérémonies d’anniversaire du 2ème régiment d’artillerie polonais et à l’inauguration de la plaque dédiée au souvenir des officiers polonais et français prisonniers à ARNSWALDE. Nous rejoignons la caserne de CHOSZCZNO après une bonne heure de route à travers une campagne polonaise qui, à part les forêts de hêtres et les plantations de sapins, ressemble étrangement aux paysages légèrement vallonnés de la Bretagne intérieure. Sur le parking de la caserne de CHOSZCZNO, Adam SUCHOWIECKI et Marek ZUCHOWICZ, Officiers de l’armée polonaise, en grande tenue nous attendent. Adam nous présente au Commandant de la base et à son adjoint avec petit déjeuner pris tous ensemble ce qui nous permet de leur exposer les motivations de notre présence en POLOGNE et de nous entretenir de l’avenir aléatoire du régiment de transmission et du régiment d’artillerie polonais stationnés jusqu’à présent à CHOSZCZNO. La professionnalisation de l’armée polonaise doit entraîner d’ici l’année prochaine la disparition de ces deux unités essentiellement constituées d’appelés. Notre arrivée à CHOSZCZNO coïncidant avec l’anniversaire du 2ème régiment d’artillerie, nous assistons sur la place d’armes de la caserne aux cérémonies officielles, défilé militaire et remises de médailles, aux premières loges, mêlés aux Officiers et Personnalités d’honneur conviés pour l’occasion, Personnalités civiles et religieuses. Une fois les cérémonies de la place d’armes achevées, nous nous rendons avec les Officiers polonais et les autres Personnalités à l’inauguration officielle de la plaque du souvenir des prisonniers français et polonais, plaque située à l’entrée de la partie de la caserne qui constituait à l’époque l’OFLAG IIB. Etienne JACHEET dévoile, avec solennité, la plaque commémorative enchâssée dans un petit monument en granit rose au pied de deux canons du 2ème régiment d’artillerie polonais encadrant l’entrée de la caserne. La fanfare du régiment entame la sonnerie aux morts au moment où la flamme du souvenir est allumée pour la première fois. Une couronne de fleurs est également déposée par Etienne JACHEET au pied du même monument. Le drapeau Français flotte sur une hampe aux côtés du drapeau Polonais. L’émotion est palpable pour nous français, fils, fille et petit fils d’officiers prisonniers mais aussi chez les polonais présents à nos cotés. Une salve d’honneur de trois tirs successifs salue la mémoire des anciens prisonniers des deux nations. L’inauguration terminée nous traversons la grande esplanade où la parade militaire vient de s’achever pour assister dans une salle du musée de la caserne à un exposé avec diapositives sur les prisonniers polonais et français. Malheureusement cet exposé est en polonais et nous ne pouvons que suivre sur l’écran le défilé des photos en noir et blanc de groupes de prisonniers en uniformes polonais ou français. Une fois toutes les cérémonies commémoratives et militaires achevées, emmenés par Marek et Adam, nous rejoignons le bâtiment dans lequel se situe au 2ème étage la chambrée où a vécu pendant sa captivité à ARNSWALDE le père d’Etienne JACHEET et claire JACHEET-NODDINGS. Cette ancienne chambrée est actuellement une salle de repos avec télévision pour les appelés logeant à cet étage. En début d’après midi départ de la caserne en voiture pour nous rendre avec Adam et Marek au mémorial des prisonniers de l’OFLAG IIB érigé dans le centre ville de CHOSZCZNO. Devant le mémorial aux prisonniers une minute de silence est observée. Dans l’après-midi nous retrouvons en ville les officiers polonais et tous les autres Officiels pour participer à un buffet clôturant les cérémonies du jour. A l`issue du buffet Marek nous invite à prendre le café de l’amitié chez lui avec son épouse et Adam. En toute fin d’après midi départ cette fois pour BORNE SULINOVO (GROSS BORN), ancienne base d’une division de blindés de l’armée soviétique. Rendez-vous sur place avec Piotr KUJAWA, Directeur du centre de retraite où nous sommes hébergés pour la nuit. Rencontre peu après dans le hall de la maison de retraite avec l’ingénieur forestier responsable du domaine englobant aujourd’hui l’ancien camp de prisonniers de GROSS BORN, Monsieur Tomasz SKOWRONEK. Celui-ci nous présente ses dernières trouvailles faites sur le site du camp dont une plaque d’immatriculation française qu’Etienne JACHEET reconnaît immédiatement comme ayant appartenu à l’un des officiers à savoir Paul HENRY. Cette découverte est pour nous tous une incroyable et émouvante surprise. Le soir du 10 Juin nous dînons tous ensemble à la maison de retraite avec nos amis polonais ainsi que l’artiste tailleur de pierre sculpteur des monuments dédiés aux prisonniers polonais et français sur le site du camp de GROSS BORN. Pendant le repas, pour ne pas déroger aux traditions polonaises, des toasts à la vodka sont plusieurs fois portés à la bien vivante amitié franco-polonaise. Sympathique et énergique tradition…

SAMEDI 11 JUIN Avec Bolek, Piotr, Adam et Tomasz, nous prenons la route pour rejoindre l’emplacement du camp de GROSS BORN. Nous traversons de grandes étendues boisées composées d’arbres résineux. En milieu de matinée arrivée sur un premier site proche du camp de GROSS BORN en empruntant avec nos deux véhicules un petit chemin de terre. Dans le bois, à 10 mètres du chemin, apparaissent une centaine de croix en bois plantées entre les arbres. Tomasz nous explique qu’à cet endroit a été trouvé un charnier semble t-il de 11 000 soldats soviétiques datant de l’occupation allemande. Ce site ayant été utilisé comme terrain d’entraînement par l’armée soviétique après la guerre, les manœuvres renouvelées des blindés russes avaient fait ressurgir hors du sol de nombreux ossements.

Ce sont ces ossements, pour certains encore parfaitement visibles, affleurant le sol qui ont attiré l’attention de l’ingénieur forestier et déterminé ce dernier à fouiller les lieux. Ainsi, au dessous de chacune des croix posées par les universitaires de TORUN et les forestiers, sont actuellement répertoriées et inhumées plusieurs centaines de victimes. Il est tout à fait surprenant que les autorités russes ne se soient jamais préoccupées de leurs morts et des restes de leurs morts alors qu’elles en avaient largement la possibilité pendant de fort nombreuses années. Peut être tout simplement parce que les Soviétiques considéraient que leurs soldats prisonniers, apparemment à cet endroit soit exécutés soit morts d’épuisement, n’avaient pas été jusqu’au bout de leur patriotisme en se rendant à l’ennemi et qu’ainsi, leur mémoire n’avait pas à être honorée ni même rappelée. A une dizaine de minutes de route du charnier des soldats russes, nous rejoignons l’ancien site du camp de GROSS BORN. Tout est entièrement recouvert d’une épaisse et lourde forêt. A quelques pas du chemin par lequel nous sommes arrivés, une grande croix faite de métal et de barbelés a été implantée devant les restes de quelques marches en béton marquant l’emplacement d’une des chapelles du camp, au niveau du BLOC 4. Nous identifions autour de nous, sur le sol, les vestiges de plusieurs baraquements, les restes de cheminées en briques et de marches en béton ainsi que des barbelés qui entouraient le camp. Divers objets rouillés qui ont sans doute appartenu aux occupants successifs allemands ou soviétiques, jonchent encore le sol de la forêt. Un peu plus loin toujours dans la forêt découverte de l’un des lavoirs en béton utilisés par les prisonniers français. Nous quittons le camp par ce qui fut l’entrée principale face à l’ancienne voie de chemin de fer qui passait devant cette entrée, bois qui a maintenant totalement disparu. C’est à cet emplacement que les deux monuments dédiés au souvenir des prisonniers français et polonais ont été érigés par les polonais. Nous nous recueillons devant ces monuments afin de rendre hommage, avec émotion, tant aux officiers français qu’aux officiers polonais qui se sont trouvés internés en ces lieux, pour les Français durant les premières années de la guerre. En rentrant à BORNE SULINOVO, l’ingénieur forestier nous invite lui aussi aimablement à prendre le café de l’amitié chez lui avec sa famille. Retour en milieu d’après midi à la maison de retraite pour déjeuner. Piotr nous apprend que notre séjour à BORNE SULINOVO nous est généreusement offert par ce dernier. Nous remercions bien chaleureusement Piotr pour son geste apprécié. En fin d’après midi nous rejoignons à SZCZECIN (STETTIN) et la maison de BOLEK. Ce dernier soir, nous dînons tous ensemble et invitons « BOLEK » dans le restaurant du château des ducs de Poméranie.

DIMANCHE 12 JUIN Séparation Retour en France pour Etienne JACHEET et sa sœur Madame Claire NODDINGS.

Quant à moi souhaitant me rendre à CRACOVIE, j’ai prolongé de quelques jours mon séjour en POLOGNE. Ces trois journées de juin, en quelque sorte un instant dans les pas de mon grand père, ont été pour moi tout à fait passionnantes et enrichissantes. J’en rapporte des impressions certaines fugitives, certaines poignantes, certaines fraternelles, tout me paraissant à la fois si palpable et déjà si lointain. J’ai également rapporté matériellement un petit morceau de fil de fer barbelés, quelques dizaines de centimètres de fils de fer barbelés rouillés (environ 30 cm) trouvés par terre à l’emplacement du camp et des baraquements de GROSS BORN. Il est pour moi parfaitement crédible vu l’état du fil de fer barbelé, par comparaison avec la plaque d’identification trouvée par l’ingénieur forestier, que ce soit là vraiment une relique des barbelés du camp. Quelle puissance d’évocation concrète, possèdent ces quelques centimètres de fils de fer barbelés, aujourd’hui exposés dans une vitrine chez mon père en Bretagne. Voilà les prisonniers, les chambrées, les appels, les gardes allemands, les miradors, les baraquements, la forêt aux alentours, les journées interminables, les années qui passaient toutes aussi interminables et, j’en suis persuadé, la fraternité et l’espoir… Il est indispensable de conserver la mémoire de tout ce qui aujourd’hui s’estompe déjà. Merci à tous d’avoir bien voulu m’accepter parmi vous, moi qui suis né trente ans plus tard…

Alexandre PRUAL DINAN, le 8 août 2005