Hommages & témoignages

Témoignage de Monsieur Maurice GUILLON
Lieutenant au 113ème régiment d’infanterie (113ème RI)

Note sur le 113ème Régiment d’Infanterie pendant la guerre

Le 113e est un Régiment de série A, c’est-à-dire formé par un petit cadre d’officiers et de sous-officiers de réserve complété par la réserve dont l’âge est de 26 à 28 ans, originaires du Loiret, du Loir-et-Cher et de la région parisienne. Parmi les Officiers : Lieutenant JACHEET 9e puis 6e Cie. Lieutenant Guillon Cie de Commandement. Le Régiment a été formé à Blois à partir du 2 septembre 1939. Chevaux, autos et motos sont des véhicules de réquisition. Le 11 septembre, le Régiment quitte Blois, le convoi autos et motos par la route, le reste en 4 trains.

Du 14 au 28 septembre, séjour à Fénétrange (Moselle) et aux environs. Le 28, le Régiment monte en pays évacué et s’installe derrière la ligne Maginot ( région de KESKATEL).

A ce moment, le 131ème R.I. d’Orléans s’était avancé en Allemagne de plusieurs Km au delà de la BLIES, affluent de la Sarre. Début Octobre, le 2ème Bataillon monte en ligne relever le 131ème . Le 16 Octobre, les allemands attaquent et repoussent les troupes françaises sur la frontière. Dans cette opération, notre bataillon, prévenu trop tard , perd 16O hommes. Le front se stabilise sur la BLIES. Le 25.Novembre, le Régiment est replié au repos près de Nancy, ( SOMMERVILLER et environs). Fin Décembre jusqu’au 13 Janvier, le Régiment est à Faulquemont au nord de Morhange. Il revient à SOMMERVILLER le 13 Janvier. Le 19 Janvier, par un froid très vif, le 113ème monte à Sarralbe. Le 22, il est en ligne à l’est de la Sarre. P.C. à WIESVILLER sur les coteaux dominant la BLIES. Du 13 Février au 5 Mars demi-repos à OERMINGEN derrière la ligne Maginot. Le 5 Mars retour en ligne. Une section est à BLIESBRŰCK, village sur la rivière où elle occupe le sud. C’est un sale coin qui reçoit presque chaque nuit la visite des patrouilles ennemies. C’est très isolé et le secteur s’anime. Le 18 Mars, bombardement sur le village. C’est pour avoir tenu ce poste que le Lieutenant JACHEET aura la Croix de guerre, (1). Le froid est très vif ( pain et vin gelés ). Le 20 Mars, c’est la relève. Nous allons au repos comme en Novembre. Puis quelques jours après, on nous met dans la région d’EULMONT au nord de NANCY. Le 15 Avril, c’est l’invasion de la Norvège... Le Régiment en alerte fait mouvement de nuit pour Morhange et les environs. Le 10 Mai, bombardement de Morhange. Le P.C. s’installe dans les bois. Le 20 Mai la 45e D.I. tout entière est transportée en camions dans la nuit en Champagne à l’est de Reims. Le 113ème doit s’installer derrière l’Aisne du côté de Rethel. Mais nous n’y restons guère puisque dès le 23, nouveau transport cette fois à l’ouest de Reims sur la montagne. Le 1er Juin nous montons en ligne derrière l’Aisne et le canal. A gauche vers ROUCY le 2ème Bataillon, à droite vers BOUFFIGNEREUX le 3ème Bataillon. P.C. à GUYENCOURT. Le 1er Bataillon en soutien. Durant cette semaine, nous sommes survolés sans arrêt par un mouchard. Dans la nuit du 8 au 9 Juin, notre 1er Bataillon est enlevé en camion vers l’AILETTE ainsi que presque toute l’artillerie puisqu’il ne reste plus qu’une batterie soit 4 canons de 75 sur notre front et nous commençons à replier certains éléments. A ce moment, les Allemands déclenchent un fort bombardement avec des fumigènes et bombardement aérien. Ils établissent des ponts de bateaux pour le franchissement de l’Aisne puis du canal. Leur progression est rapide, étant donné que nous n’avons qu’un rideau de troupes, sans soutien. ROUCY a du être occupé vers midi. Dans la soirée, les Allemands encerclent le Mont des Marchands où le Commandant du 2ème Bataillon s’est replié. C’est là que je le rejoins avec la moitié de ma Section envoyée en renfort !!! et quelques pionniers avec AUROY... mais c’est tout ce dont disposait le Colonel. A 16 heures on est prisonniers. Ce groupe dont fait partie le Lieutenant GUILLON traverse le canal puis l’AISNE sur des passerelles et subit un bombardement de 75 ! au village de PONTAVERT. Etape de 15 Km. jusqu’à un hangar à CORBENY. Là sont réunis bien d’autres prisonniers du 113ème dont JACHEET. Le lendemain 1O Juin étape à pied jusqu’à SISSONNE. Les officiers sont dans les bâtiments, les hommes dans le pré. On nous donne un morceau de vache et on nous apprend l’entrée en guerre de l’Italie. Le 11 transport en camions jusqu’à HIRSON. Dans la soirée embarquement en wagons jusqu’à Givet. 10 Km. à pied jusqu’à BEAURAING en Belgique. Il serait facile de quitter la colonne en traversant les bois mais nous sommes épuisés. Nous sommes dans une ferme. Le 12 Juin départ en chemin de fer 13 juin le train passe à Luxembourg et s’arrête à TREVES. On nouS conduit aux casernes en haut de la ville. C’est le jour de la prise de Paris, la ville est pavoisée mais pas de manifestation. 14 au soir, embarquement. Le 15 arrivée à MAYENCE. 19 Juin départ en wagons à bestiaux. 20 Juin le train roule… 21 Juin au point du jour nous débarquons à GROSS-BORN, (Poméranie) après 32 heures de Fer.

 

SUR LA ROUTE DU CAMP

Lundi 10 juin 1940 Réveil à 4 heures 30. En route. De nouveau la route s’allonge. Nous allons à SISSONE 13 Km. Nous arrivons las, traversons la ville et sommes gardés dans la chapelle du foyer JEANNE D’ARC. Nos hommes sont dans le terrain des sports, derrière. Toujours pas de repas, mais de l’eau. J’ai un morceau de chocolat, c’est tout. Dans la chapelle, il y a de la paille, c’est une affaire. Nous nous affalons. Sur le chemin de CORBENY à SISSONE , nous avons croisé des convois auto avec un matériel homogène qui nous fait rêver, convois cyclistes et motocyclistes, convois de ravitaillement hippo, on dirait que pas un soldat ne marche à pied ! alors que nous, nous nous traînons péniblement, surchargés et que notre matériel est hétéroclite et roule difficilement malgré les efforts des dépanneurs. On nous fait donner cartes, boussoles. Je dois donner la lampe électrique de maman, ce qui me fait bien dépit. AUROY abandonne aussi son appareil photo. Nous avons retrouvé de nombreux camarades, RÉEL, BERNIS, MORDELET les yeux creux de fatigue, DELECOURT, DAGUES, CHOLLET, VERGÈS JACHEET, PEYNAUD… On nous annonce la mort de De ROTHALIER (1) d’une balle dans la tête, celle de De MOYEN (2) dans son trou, GIRAULT après avoir traversé le canal à la nage, a été blessé à la tête et est tombé… A 2 heures on nous donne un morceau de viande, pas bien cuite il est vrai, mais c’est bon quand-même ! Plus tard, nous touchons du biscuit et du bouillon. La soirée se passe ainsi à bavarder avec les camarades. Rien que la vue du matériel nous fait croire à notre défaite . Un infirmier allemand nous dit, en fin d’après-midi, revenir de REIMS. Je trouve un bol, une assiette et c’est une richesse. Nous nous couchons dans la chapelle et sommes encore privilégiés car nos hommes sont dehors…

Mardi 11 juin 1940 La nuit s’est passée avec incidents : SISSONE a été bombardée : on a entendu l’éclatement des bombes. De bonne heure, debout ! Nous embarquons en camions. Voyage sans histoire. Arrivée à HIRSON. Débarquement sur la place, traversée de la ville : elle paraît avoir peu souffert. Il reste peu de civils. Marche jusqu’à un champ entouré de fil de fer barbelé, qui sera logis jusqu’à nouvel ordre. Que de prisonniers ! Plusieurs milliers bien sûr. " La verte prairie ” comme dit le Capitaine BROUST est en bordure d’une petite rivière où nous pouvons aller boire. Je retrouve mes hommes qui ont eu froid la nuit d’avant. GUICHARD me donne une enveloppe car il paraît qu’on peut écrire, mais la lettre prête, on la refuse ?. J’encourage mes gars : RUET qui a eu un coup de soleil et qui avait grand peine d’avancer est guéri. Nous avons droit à un café puis à un morceau de viande, du bouillon, du biscuit. L’après-midi se passe en bavardage. Le commandant va mieux aussi ; il a beaucoup peiné pendant les marches, AUROY aussi d’ailleurs ; quant à moi, j’avais des ampoules aux pieds que j’ai crevées et j’ai les pieds à vif. On se prépare à passer la nuit dans " la verte prairie ”. Mais pourvu qu’il ne pleuve pas !… On nous distribue de la paille pour la nuit, chichement bien sur. Mais vers 3 heures ho ! tout le monde doit s’apprêter pour partir. En quelques minutes, nous sommes prêts et quittons sans regret ce champ pour la nuit : on ne peut être plus mal que là ! Nous allons à la gare et croisons 2 autres convois de prisonniers : c’est bien la défaite ! . Embarquement rapide dans des wagons à bestiaux. Nous sommes 35 par wagon et un peu gênés ! Par la « portière » nous regardons le paysage assez riant . Voici CHIMAY, MARIENBOURG puis GIVET. Nous passons des ponts refaits. Débarquement. Nous traversons la ville qui a souffert du bombardement : beaucoup de maisons détruites. Je me souviens d’une rue où toutes les maisons sont éventrées : pauvres gens ! Nous passons la MEUSE sur un pont du génie. Il y a encore 10 km à faire . Ils vont être bien longs. Le paysage est grandiose : les bords de la MEUSE sont escarpés avec quelques fortins. Comment ont-ils pu traverser en cet endroit ?. La MEUSE n’est pas une pissotière !. La route s’allonge. La nuit tombe.

Nous arrivons en BELGIQUE. Nous traversons des bois ; comme il n’y a que quelques sentinelles, pour surveiller tout le convoi, il serait facile de se sauver. Mais nous sommes las !. Traversée de BEAURAING. Les hommes sont dans une grande prairie. Nous sommes conduits dans une ferme. Il est 1 heure du matin. On nous donne de l’eau après un bon moment et du pain ; mais nous sommes si las que nous ne mangeons pas. Alerte ! des avions passent. La D.C.A. tonne. Sans lumière nous pénétrons dans une écurie et nous nous allongeons les uns sur les autres, épuisés. Le sommeil vient, brutal.

Mercredi 12 juin 1940 Nuit reposante. AUROY me donne une pomme de terre qu’il a fait cuire dans la cendre ; nous en faisons cuire d’autres. A midi nous avons une grande assiettée de soupe avec du lard. Comme d’autre art il y a un tas de pommes de terre dans un coin et du pain, nous faisons un repas de roi. Aussi nous mettons des provisions de côté car sait-on quand aura lieu le prochain repas ?. Départ dans l’après-midi : embarquement pour ? Le train s’essouffle en montant une grande côte d’où l’on domine un paysage riant : vallons boisés, monts très arrondis, vertes prairies où errent des vaches, c’est l’ARDENNE. Le train s’arrête souvent et brutalement. La nuit tombe, mais aussi la pluie. Mollement allongés sur le plancher, nous réussissons à nous endormir, d’un sommeil troublé. Il faut changer de position en raison des courbatures et aussi pour fuir la pluie car le toit n’est pas étanche et il pleut dans le wagon. Pour comble de malchance, AUROY débouche une bouteille sur lui !

Jeudi 13 juin 1940 Nous nous réveillons gelés et aussi courbaturés. Le voyage continue. C’est ARHAN et la frontière. Belgique. Luxembourg. Là on nous donne un café chaud et du pain. Décidément, c’est bombance ! Le voyage se poursuit très lent. Voici Luxembourg puis quelques après la vallée de la MOSELLE avec des sommets couronnés de forêts ; nous traversons la large rivière et suivons son cours. Dans le lointain, des clochers. C’est TREVES. Nous descendons. En route à travers la ville pavoisée, car PARIS est pris, paraît-il, mais les gens nous regardent passer sans manifester. Nous grimpons le coteau par une route en lacets et arrivons à la caserne. Après un repas bien accueilli, pain et orge et que nous avons juste le temps d’avaler, car les Sénégalais nous arrachent le plat des mains, on nous dirige vers une belle caserne où nous trouvons un lit. Que de prisonniers ici !. plusieurs milliers bien sûr !. Il y a de l’eau et je me débarbouille avec plaisir, sans savon. Je fais partir une lettre. Arrivera-t-elle ?. On nous donne une soupe, puis du pain et du fromage. Quel bon repas !. Le moral s’en remet. Voici la nuit.

Vendredi 14 juin 1940 La matinée se passe sans incident. On réussit à acheter du tabac (15 Francs le paquet) et du savon. A midi, soupe habituelle. A 5 heures, hop ! rassemblement. Nous sortons du camp, descendons le coteau. On domine TREVES, qu’on aperçoit à gauche, ce qui produit des effets de lumière curieux sur les toits. Le temps est sombre. Quel dommage que ce soit en telle circonstance. Après une longue attente à la gare, embarquement dans des wagons de voyageurs. Très longue attente et départ. Nous traversons la MOSELLE et de suite il fait nuit. Nous avons juste entrevu quelques fortins de la ligne SIGFRIED.

Samedi 15 juin 1940 J’ai dormi assis sur un banc et suis courbaturé. Quand le jour se lève, COBLENCE est dépassé. Durant la nuit, nous avons entendu vaguement la D.C.A.. Nous entrons dans le défilé du RHIN. Au petit jour livide, sous une lumière froide tombant du ciel mouillé, je distingue le RHIN qui roule des flots glauques, portant de nombreux remorqueurs. De temps à autre, dominant la vallée, un " burg " dresse ses ruines. Quand la vallée s’élargit, un joli village au bord de l’eau. Sur la pente, des vergers s’étagent en terrasses. La route nous suit, cette route qui s’insinue entre le fleuve et le coteau. Je crois reconnaître la Lorelei et l’île de Saint-Gothard. Enfin voilà BINGEN. La vallée s’élargit, montrant ses cultures soignées, haricots surtout. MAYENCE. Débarquement. Nous avons perdu nos hommes.

On nous conduit dans un camp en nombreuse compagnie. Je remplis une fiche d’identité et 2 cartes. paraît qu’elles ne mettent que 3 jours pour aller chez nous. Je le souhaite bien fort… AUROY est désigné pour un autre détachement. C’est une grande tristesse pour moi. Le dîner est copieux et j’en profite. Sieste. Appel. Repas froid. On nous donne une couverture, décidément ça va mieux.

Dimanche 16 juin 1940 La nuit fût un peu agitée, (la D.C.A. a encore donné), mais bonne cependant. Ce matin café au lait, ce qui avec le beurre gardé d’hier, fait un excellent déjeuner. A midi, viande. L’après-midi attente dans la cour. 600 d’entre nous partent mais ma bande reste. Je retrouve AUROY qui avait été isolé pour interrogatoire. Je change des francs pour des marks. J’achète un peigne.

Lundi 17 juin 1940 Ce matin sont arrivés 200 camarades. La vie paraît vide. On annonce un triumvirat en France, la prise de DIJON, de MULHOUSE. Nous avons tous l’impression que la fin est proche… Chez moi en ce moment on doit s’ennuyer ferme. On chuchote la capitulation de la France, la prise de PONTARLIER, d’ORLÉANS.

Mardi 18 juin 1940 Nuit troublée par un raid d’aviation. La D.C.A. a tiré avec rage. Journée sans histoire, sauf l’arrivée de 200 camarades dont COURSIMAULT. Aujourd’hui 2 repas chauds mais les parts de pain sont bien maigres. Pas de tabac. J’ai passé la soirée à jouer au bridge.

Mercredi 19 juin 1940 Nouvel " arrivage " ce matin avec GROSSIN, BOUDOT, QUEFELEANT. Il paraît que nous artons ce soir. Les bagages sont vite préparés. Rassemblement à 4 heures. Embarquement à 8 heures presque. A 55 dans un wagon à bestiaux, aménagé avec des banquettes. Direction la POMERANIE croit-on. Nous sommes bouclés et c’est à peine si nous voyons que nous voyons que nous traversons le RHIN. Nous atteignons FRANCFORT SUR LE MAIN mais tout de suite il fait nuit.

Jeudi 20 juin 1940 Cette journée interminable se passe en chemin de fer. Par la porte entre-baillée du wagon, nous entrevoyons ERFURT, LEIZIG, FRANCFORT SUR ODER. Je suis courbaturé et ne sais lus dans quelle position me mettre. De temps à autre, le train s’arrête et on nous donne de l’eau. En fin de soirée, nous réclamons à manger, mais rien. Pendant les haltes, nous mangeons de l’oseille qui pousse le long de la voie. Le paysage est quelconque et d’ailleurs nous n’avons aucun cœur à le regarder ; une grande, une immense forêt de sapins avant LEIPZIG, d’immenses pays plats, c’est tout ce que je retiendrai. Mais cette attente ! Nous nous préparons pour une seconde nuit, c’est à dire que nous nous allongeons de nouveau sous les banquettes. Et les nouvelles sont toujours très mauvaises : STRASBOURG, LUNEVILLE, NANCY, TOUL, VERDUN sont pris nous dit-on. On s’explique mal que la lutte continue. Et CAMILLE ?. Pour la 2ème fois, la nuit tombe.

Vendredi 21 juin 1940 Au point du jour nous débarquons après 32 heures de fer. Le camp dresse ses baraques en bordure de la forêt, devant une grande plaine. Mais j’aurai bien le temps de voir le paysage. On nous installe dans des baraques. Il n’y a rien, rigoureusement rien, mais on nous explique que tout cela est provisoire. Je suis en peine pour chez moi. Nouvelles de plus en plus mauvaises : BREST, BLOIS, LYON sont occupés, et chez moi ? Il paraît que des plénipotentiaires ont rencontrés les Allemands.

Samedi 22 juin 1940 Une nuit passée sur le bois du lit. C’est la 3ème. Décidément nous trouverons du changement en rentrant ? Nous ne faisons que parler de la fin de notre captivité. Les distractions sont rares, ici nous logeons dans des baraques avec lits à 3 étages.

Quand il y aura du monde partout, on aura à peine la place de remuer. Il ne ferait pas chaud là-dedans l’hiver, surtout qu’il fait dur ici, mais nous espérons tous être partis à cette époque. Nous sommes dans une partie du camp qui, vaste, fut établi, dit-on, il y a quelques années. Il est entouré d’un double et haut rang de fil de fer et l’intervalle est garni d’autres rouleaux. Toute cette clôture est précédée à 2 mètres d’un fil de fer qu’il est interdit de franchir. Elle est surveillée par des postes établis dans des miradors élevés, dotés la nuit de projecteurs. Je me demande d’ailleurs où nous pourrions aller ?. Le paysage est quelconque, très plat. D’un côté, la forêt de sains, de l’autre un petit lac et, au lointain les toits rouges de 2 villages inaccessibles. A quelques centaines de mètres, la ligne de chemin de fer qui nous ramènera – quand ? Ce matin sont arrivés quelques centaines de camarades. Notre chambre est pleine à présent. J’ai joué aux cartes une partie de la journée et j’ai lavé ma chemise qui en avait fort besoin !. Mais ce n’est plus le petit lavage de chez nous puisque je n’avais ni brosse, ni savon !. Cet après-midi, violent orage : on nous oblige à rentrer. Ce matin on nous avait fait lever de bonne heure pour nous donner une paillasse. Mais la journée se passe sans paillasse. On couchera donc encore sur le sapin ce soir. J’allais oublier de parler des cabinets " publics ". Pas même pouvoir s’isoler à ce moment !. Dans nos conversations, nous sommes tous d’accord : partout en Belgique, sur la SOMME et sur l’AISNE, peu de monde, pas de matériel.

Dimanche 23 juin 1940 (dimanche !) Un camarade a dit qu’on prétendait que le sapin était un bois tendre, ce doit être faux ! Il faut croire que je m’endurcis car je ne souffre pas. Au réveil, on nous a dit que l’armistice était signé, ce qui nous donne l’espoir de ne pas prolonger notre séjour ici. La vie s’organise ; lever vers 7 heures ½, déjeuner puis toilette. Le bavardage, un tour à la cantine, cela rend jusqu’à midi. A ce moment, en longue file, un plat à la main, nous allons à la cuisine percevoir notre repas, composé presque toujours, de pommes de terre et d’orge. L’après-midi, on cherche à s’occuper jusqu’à 4 heures, où on nous donne la nourriture, ce qui est fort important.. Nous touchons 2 boules, soit 2,400 Kg (?) pour 9, plus la marmelade, ou du beurre, ou de la graisse. Avec cela, il faut manger le soir et le lendemain matin. C’est bien juste. Nous espérons que cela va augmenter. Hier, nous avons écrit une carte à la Croix-Rouge. Que devient-on chez moi ?. Ma dernière lettre était du 6 juin. Il s’en n’est passé des choses depuis …. Aujourd’hui dimanche j’ai bu de la bière (à 6,25 F le verre !). A signaler que nous avons eu ce soir de la aille.

Lundi 24 juin 1940 On ne sait encore si la guerre s’est arrêtée. Des pourparlers sont, paraît-il, engagés avec l’Italie. AUROY a le cafard. Il ne sait où est sa femme. MENANT est arrivé au camp, nous en sommes plein de joie car au moins il est vivant. A travers le fil de fer, il nous a raconté ce qu’il était devenu depuis le 9. Il s’est battu beaucoup et a subi des bombardements aériens. II est vivant, c’est le principal. Il a été pris au sud de TROYES. Nous avons bavardé longuement avec lui : suivant les rapports de ROSSIGNOL, AUROY était grièvement blessé et moi tué. Ce soir on nous signale l’armistice avec l’Italie.

Mardi 25 juin 1940 Le bruit s’est confirmé : l’armistice a été signé hier soir et est entré en vigueur ce matin à 1 heure 35.

Ce récit (copie de l’original) a été rédigé à Grossborn (Poméranie) pendant l’été 1940. Il a été expédié chez moi mais sous la censure ce qui explique certains "oublis" …

Lieutenant GUILLON moto C.D.T. 113ème R.I.

Sont cités dans ces notes :

Lieutenant AUROY C.D.T Lieutenant REHEL médecin CA MORDELET infirmier C.A. 3 BERNIS infirmier CA 3 Lieutenant DELECOURT 10ème CIE Lieutenant DAGUES 11ème CIE Lieutenant CHOLLET 6ème CIE Lieutenant VERGES 11ème CIE Lieutenant JACHEET 6ème CIE Lieutenant PEYNARD 11ème CIE Lieutenant GIRAULT 9ème CIE Lieutenant MENANT C.D.T. DE ROTHALIER 7ème CIE le 9 Juin DE MOYEN 9ème CIE le 9 Juin LARRETCH Cdt du 2ème Btn C. COURSIMAULT adjoint au 1er Btn Sergent ROSSIGNOL Sergent RUET de ma Section moto GUICHARD

Tous du 113ème R.I.

Camille (CARTIER) mon beau-frère 405ème pionnier dans les Vosges (a été prisonnier)