Hommages & témoignages

Témoignage de Monsieur Franz GAIGNEROT

[TEXTE DICTÉ PAR FRANZ GAIGNEROT EN 1993]

RETOUR D’ALLEMAGNE, EN AVION MILITAIRE BRITANNIQUE, DU LIEUTENANT GAIGNEROT FRANZ, PRISONNIER DE GUERRE FRANÇAIS, À L’AÉRODROME DU BOURGET, LE 31 MAI 1945.

Lors de l’avancée de l’Armée Soviétique, les Allemands ont fait évacuer vers l’Ouest, le 31 janvier 1945, à pied et dans la neige, tous les Officiers français de l’OFLAG II B (Arnwald). Atteint de dysenterie, j’ai dû abandonner notre colonne, et les Allemands, fort mécontents, m’ont mis dans une charrette de blessés et de malades. Et c’est ainsi que je suis arrivé à l’infirmerie de l’important STALAG IIA, à 5km de Neubrandenbourg (petite ville située sensiblement à 100 km au Nord de Berlin).

Là, bien soigné par un médecin et bien nourri par les militaires français, je me suis très vite rétabli. Une nuit, le Sergent Hatte m’a réveillé, et – m’informant qu’il faisait partie du "groupe de confiance" des sous-officiers, gradés et soldats de ce STALAG – m’a demandé, au nom de tous ses camarades, de me préparer à prendre le commandement de ce camp, lors de sa libération. Pour ce faire, ils m’ont retiré furtivement de l’infirmerie, m’ont caché des Allemands dans leurs baraquements et m’ont prié de garder mes galons de Lieutenant. Après notre honteuse défaite et cinq années de captivité, j’ai alors passé un des moments les plus émouvants de ma vie.

Les Allemands, qui pointaient toujours, des miradors de ce STALAG IIA, leur mitrailleuses sur nous… l’ont, finalement, évacué en mars 1945… quelques heures avant l’arrivée des premiers éléments des troupes soviétiques. Et, soudain, nous avons aperçu leurs chars. Ils ont fait un quart de tour… et, s’avançant lentement vers nous, ont écrasé les barbelés du camp. Nous nous sommes, alors, précipités en criant notre joie, vers ces Russes qui descendaient de leurs chars… et nous les avons étreints dans nos bras.

Mais, très vite, sous les ordres de leurs Officiers, nos libérateurs ont pris du recul. Un de leurs interprètes s’est avancé vers nous et nous a demandé si les prisonniers de guerre français de ce camp avaient pu mettre sur pied une ébauche d’organisation.

Alors je me suis présenté. J’ai déclaré mon nom et mon grade et ma désignation, par tous les militaires de ce camp, pour en prendre le commandement. J’ai dit toute notre admiration pour la victoire des armées soviétiques ; et j’ai, enfin, ajouté que je souhaitais vivement rencontrer l’autorité compétente de nos libérateurs. Il a paru quelque peu étonné par mon propos. Il m’a demandé d’ordonner à tous les hommes du STALAG IIA de retrouver un comportement militaire – de demeurer très calmes et d’éviter tout désordre.

Puis, après avoir pris connaissance de ma baraque, il m’a prié d’y demeurer, consigné, en attendant les décisions de l’Armée Rouge.

Pendant plusieurs jours, nous avons été considérés avec méfiance et cela d’autant plus que les Soviets avaient constaté que la majorité des hommes de ce camp ne partageaient pas leurs opinions politiques. Finalement, ils sont venus me chercher et m’on emmené auprès du Général commandant leur unité. Après m’avoir longuement interrogé, par l’intermédiaire d’un Officier interprète, ce Général est devenu plus détendu, plus confiant. Il ma dit que les ‘Français’ lui paraissaient totalement indiscipliné – je m’efforçais de ne pas sourire – et que, comme on continuait à me réclamer, il consentait à me reconnaître, provisoirement, Commandant, de fait, de ce STALAG.

Puis, il m’a demandé de faire évacuer le camp et de nous installer dans des ‘Panzer-Casern’ de Neubrandenbourg même.

Naturellement, j’ai dû, à cette époque, m’occuper d’assurer le ravitaillement des hommes, mais encore, j’ai dû faire accepter la discipline qui s’imposait et veiller à ce que mes camarades attendent des Commissions de rapatriement (elles ne sont pas venues) et des ordres précis, plutôt que de se lancer seuls, par petits groupes, dans la nature… où ils auraient pu avoir, alors, de grandes difficultés avec des troupes allemandes en retraite, ou avec les troupes soviétiques qui avançaient. Bien plus, les Russes ont canalisé vers notre camp tous les Français prisonniers de guerre et déportés ainsi que les S.T.O. de la région et m’ont invité à commencer les préparatifs de rapatriement.

Ils m’ont informé, entre autres, qu’ils faisaient diriger vers nous des charrettes contenant des Femmes déportées de Ravensbrück. J’ai immédiatement envoyé plusieurs de mes camarades vers ces charrettes, et – les Russes m’ayant autorisé à armer d’un fusil quelques dizaine d’Hommes de chez nous – j’ai pu faire présenter les armes à l’arrivée de la première charrette. Mais plusieurs fusils sont tombés… quand nous avons vu dans quel état se trouvaient ces Femmes.

J’avais constitué un petit groupe de commandement, ce qui m’a permis de dresser des listes de rapatriement, regroupant, tant bien que mal, nos camarades selon leurs unités militaires. Et, une semaine environ après mon entretien avec le Général, les premiers camions russes arrivaient – ce qui devait se renouveler quotidiennement – et prenaient en charge, par priorité, les déportés politiques, puis les prisonniers de guerre, enfin les Français du S.T.O., pour les convoyer jusqu’à la zone d’occupation anglaise.

Après de nouvelles négociations difficiles avec les Soviétiques, dont les Unités et les Chefs changeaient constamment, car ils ne faisaient que passer dans la région pour aller, évidemment, jusqu’aux lisières de l’occupation anglaise et américaine, j’ai obtenu la permanence de nos rapatriements par leurs propres camions.

Donc, après que tous les Français (plusieurs de dizaine de milliers) et de petits détachements alliés (belges, etc.) dont j’avais, très provisoirement la responsabilité, aient été évacués, non pas vers l’Est, mais vers l’Ouest (zone d’occupation anglaise), sans qu’à ma connaissance aucun vol, ni aucune violence n’aient eu lieu à leur encontre, et avec un ravitaillement journalier assez correct, j’ai considéré ma mission terminée et je suis moi-même rentré le dernier avec le petit État-major que j’avais constitué.

Malheureusement, l’Armée Rouge nous a interdit le transport de tout bagage – il y avait tant d’hommes à rapatrier – et, d’ailleurs, après cinq ans de captivité et des kilomètres à pied, dans la neige… nous n’avions presque plus rien. Il m’a été impossible de conserver les notes que j’avais prises ou fait prendre par mon petit secrétariat : 1) les noms de Français rapatriés, ainsi que les noms et numéros de leurs unités militaire, 2) les numéros des unités russes.

Ayant fait, en camion russe, le même trajet pour rejoindre la zone d’occupation anglaise qu’avaient pris les convois journaliers des militaires, déportés, etc. que j’avais rapatriés, j’ai donc pu vérifier, dans la mesure où cela était possible, que tous ceux qui étaient passés chez nous, à Neubrandenbourg STALAG IIA, avaient été récupérés par les Britanniques.

Naturellement, je sais bien que quelques prisonniers français de cette région ont refusés d’être rapatriés, malgré nos exhortations, préférant, sans doute, rester entre autres dans des fermes, où ils avaient trouvé de nouvelles raisons de vivre.

Lors de mon retour vers l’Ouest, j’avais à mon côté un Officier de l’Armée Rouge qui s’est entretenu le premier avec des Officiers britanniques. Et dès notre descente du camion, je suis resté assez ému devant leur accueil très chaleureux.

Il est vrai que j’avais avec moi : 1) un Lieutenant prisonnier de guerre français, qui était venu se joindre à moi et m’aider, 2) le Sergent Hatte (l’Homme de confiance de STALAG IIA) 3) quatre déportés politiques 4) trois miliciens en tenue allemande, mais avec un brassard bleu-blanc-rouge. (Ces derniers étaient venus me demander ‘asile’ ; j’avais, difficilement, accepté, mais je les avais consignés dans une baraque.)

Et, en rappelant les tortures nazies, j’avais clamé que les vainqueurs, Russes et Alliés, se devaient de respecter les lois et les conventions internationales. C’est-à-dire que seul un ‘Conseil de guerre’ français pouvait les juger. C’est ainsi que j’ai réussi à ce que, malgré leurs envies, ni les Soviétiques, ni les Anglais, ne les aient fusillés.

C’est avec un réel étonnement que j’ai compris que les Anglais nous emmenaient vers un aérodrome et mettaient à notre disposition un de leurs avions militaires. Nous avons atterri à l’aérodrome du Bourget le 31 mai 1945. J’ai aussitôt compris qu’il était militaire, car des soldats français ont, très vite, entouré l’avion.

L’Anglais qui commandait l’appareil et moi-même sommes descendus, et j’ai demandé la présence d’un Officier français pour fournir toutes les explication.

Autant que je m’en souvienne, c’est un Capitaine ou un Officier supérieur qui est venu. Il a paru surpris. Il comprenait mal d’où je venais et quel avait été mon parcours depuis l’OFLAG IIB. Un interprète a pris l’attache du britannique et l’Officier français m’a emmené dans son bureau. Finalement, il m’a installé à une table et m’a invité à faire mon rapport. J’ai écrit longuement. Biens sûr, il a fait, provisoirement, emprisonner sur place les miliciens – je n’ai jamais su ce qu’ils étaient devenus. Quand nos identités ont eu été bien relevées, nous sommes montés dans un car militaire qui a conduit les déportés politiques au Lutécia et nous, à la gare d’Orsay.

Là, j’ai dû, à nouveau, remplir des questionnaires. Et, en me libérant définitivement, un Officier d’Orsay m’a dit : « qu’est-ce que vous avez bien pu faire, si longtemps, en Allemagne ! » C’était, je le répète, le 31 mai 1945.

Je souhaiterais qu’on retrouve mon rapport, péniblement rédigé au Bourget.