L'Université |
" ... Au départ, l’Université n’était universitaire qu’accessoirement. L’intention du fondateur, fort louable d’ailleurs, était d’arracher les gens au désespoir de l’inaction en leur proposant des distractions d’une certaine qualité intellectuelle, essentiellement des conférences mondaines, ou du moins faciles. En somme, une entreprise parallèle au théâtre, mais qui débuta bien avant lui. Rivain réussit en effet le tour de force de lancer son affaire dès la fin juin ou le début juillet, à peine venions-nous d’arriver et les premiers colis, les premières lettres, les premiers livres étaient encore loin... " ...Peu à peu l’Université devint une vraie Université. Sans naturellement jamais cesser, les conférences à grand spectacle firent place à des cours plus étroits mais de finalité plus stricte. Tout, je crois, fut enseigné : la comptabilité comme la géographie, le notariat comme l’anatomie : j’aurais plutôt fait d’énumérer ce qui ne le fut pas ... " (37). Ces deux extraits du livre de Roger Ikor donnent bien un aperçu de la façon dont, petit à petit, la série des conférences assez hétéroclites dans les premières semaines, se disciplinèrent et évoluèrent vers des cours réguliers. Mais, pour parvenir à l’objectif que s’étaient fixé dès le début les Commandants Rivain et Baticle, il fallait que plusieurs conditions soient réunies : un corps professoral, des locaux et l’agrément de l’Université Française, avec promesse que les sanctions et les résultats obtenus au camp seraient validés au moment du retour en France. Le corps professoral ? Les agrégés, les docteurs et les professeurs étaient nombreux dans le camp. Trois facultés ont pu être mises sur pied : le droit, les lettres et les sciences. La faculté de droit a été créée la première dés octobre 1940-elle comptait au début une trentaine de professeurs dont une dizaine de docteurs en droit et quelques avocats à la cour de cassation et au conseil d’Etat. Un rapport du doyen, le lieutenant Claude Coliard, du 29 mai 1942, fait état de vingt-neuf professeurs. (*) Fondée peu après, la faculté des sciences fut aussi confiée à des professeurs agrégés et docteurs : sept ou huit agrégés et plusieurs docteurs es sciences. Là, a surgi une grosse difficulté : le problème des instruments de travail indispensables pour les sciences physiques et naturelles. Ce problème a subsisté pendant toute la captivité malgré l’envoi de quelques collections de fossiles et de minéraux que nous devions à la générosité de la Croix Rouge Suisse, et tout particulièrement de l’Université de Lausanne. La faculté des lettres aurait dû être la première, puisque ce sont des professeurs de lettres qui ont été les premiers à nous donner des conférences, d’histoire, en particulier, qui ont été les plus suivies. En fait, elle ne fut organisée qu’après les deux autres. II y avait dans le corps professoral au moins douze agrégés de philosophie, de lettres, d’histoire et de langues vivantes. Le camp comptait quelques quarante anciens élevés de l'Ecole Normale Supérieure. Ce qui, on en conviendra, était largement suffisant pour encadrer cette Université qui fit surnommer l’Oflag IID par les officiers allemands, dés 1940, le "le camp savant". Dans une brochure publiée en mars 1942, sous le titre : "Université de camp", l’Oflag IID était désigné comme Université de plus grande importance, et c’était le seul ! Faut il citer ces professeurs ? La liste en est longue et nous risquerions d’en oublier, et non des moindres ! Pour les locaux, quelques salles disponibles dans chaque bloc permettaient d’assurer les cours tant bien que mal. Elles étaient attribuées en fonction de l’effectif de chacun des cours. Le problème fut surtout délicat a Arnswalde où les locaux étaient plus restreints. On dut utiliser les combles et même les caves de chacune de nos casernes. Qui suivait les cours de l’Université ? L’effectif a été assez variable au cours des quatre années de fonctionnement régulier. II est certain que l’assiduité s’est quelque peu ralentie au fur et à mesure que les mois passaient. Pour nous donner une idée, on notera que le 1er mars 1941 étaient inscrits 114 élèves aux Lettres, 202 au Droit et 162 aux Sciences. A coté de l’Enseignement Supérieur, il s’était créé aussi une préparation au Baccalauréat qui eut 27 inscrits et une préparation au Brevet d’Enseignement Agricole qui a réuni jusqu’à 108 élèves. Quelle a été la sanction de ces études ? "D’après une circulaire administrative, les recteurs des Universités de camp furent autorisés à délivrer aux étudiants ayant subi un enseignement régulier, des certificats d’assiduité qui, à leur retour en France, leur conféreraient certains avantages". Les étudiants se voyaient en outre offrir la possibilité de passer sans délai et dès leur retour les examens auxquels ils auraient pu se préparer durant les années d’absence. Malheureusement, en raison des événements de fin 1944-début 1945, notre Recteur a eu la désagréable surprise d’apprendre que les procès verbaux des examens passés très régulièrement au camp, entre 1941 et 1944, et qui avaient été transmis conformément aux instructions à la mission Scapini n’étaient jamais parvenus au Ministre ; et les recherches n’ont pas abouti. Toutefois, dans un appendice à sa thèse, Flament signale l’envoi direct aux Facultés intéressées, des procès verbaux d’examen des sessions tenues à l’Oflag à partir de mars 1943. Ces dossiers individuels ainsi parvenus ont été validés au retour en France, sans que les intéressés aient eu à se présenter à de nouvelles épreuves. Ces validations ont été totales pour les épreuves de droit ; nous ne connaissons pas la proportion pour les sciences et les lettres. EN MARGE DE L’UNIVERSITE A coté des trois facultés que nous avons citées, il y eut aussi quelques cours qui s’adressaient à un nombre plus restreint d’officiers prisonniers et en général beaucoup plus spécialisés. Certains avaient un caractère clandestin, car ils n’auraient pas été admis par nos gardiens. Le plus important des cours annexes à été celui de l’E.S.O.P. (Ecole Supérieur d’Organisation Professionnelle), filiale de celle de Paris. On y faisait de l’économie politique, de la législation fiscale, de la statistique, de la comptabilité industrielle... Les professeurs étaient souvent ceux qui professaient déjà à l’Université. A vu également le jour un cercle économique dans lequel on traitait aussi d’économie politique, de finances, de questions sociales, sous forme de conférences faites par des anciens de Sciences Po, d’HEC ou de l’ESSEC (*). Au moins une centaine d’hommes de troupe étaient affectés au camp comme ordonnances, infirmiers, coiffeurs etc. Des instituteurs (ils étaient environ 400 au camp) se mirent à leur disposition pour parfaire leurs études primaires, si nécessaire, et certains ont pu ainsi passer leur certificat d’étude. A coté de ces cours annexes qui intéressaient un nombre relativement élevé d’étudiants, il faut aussi mentionner ici, les petites "écuries "destinées à préparer, chacune, quelques officiers aux concours auxquels ils envisageaient de se présenter à leur retour : différentes Agrégations (droit, sciences, ou lettres), Concours des Affaires étrangères, Contrôle général de l’armée ... Ou Secrétariat des Mairies. II serait long et fastidieux de recenser toutes ces activités annexes, tous les cours spécialisés, en général clandestins, qui s’adressaient à telle ou telle catégorie d’officiers prisonniers. Un seul exemple suffira : " ...En juillet 1944, le colonel Doyen des officiers de l’Oflag jugea le moment venu de créer des cours clandestins d’information et d’instruction militaire pour les jeunes officiers d’active . " Les buts à atteindre étaient multiples. Beaucoup de jeunes officiers d’active avaient été faits prisonniers peu de temps après la sortie de l’Ecole et manquaient d’expérience militaire. En vue de leur retour prochain à l’activité, il importait de leur permettre de se perfectionner au point de vue théorique, en ce qui concernait l’administration militaire, la psychologie du commandement, la technique du combat moderne, sans cesse en évolution. Enfin, par cette ambiance militaire, le commandement du camp se proposait aussi le retour à la bonne tenue et surtout l’entretien d’un moral élevé chez ces jeunes officiers... " |