Dès le début des travaux, il nous fallut du bois, ne serait-ce que pour confectionner les chariots, boîtes en bois, raclettes et murs de soutènement de la chambre.
Il s’agissait donc de déboiser le dessous de la baraque, c’est-à-dire , enlever le deuxième plancher inférieur
qui avait pour but d’isoler le premier plancher de l’humidité, une feuille de papier goudronné étant placé
entre les deux planchers. Je fus chargé de cette mission avec Bricard et De la Gorce, car il ne fallait pas
être trop gras pour pouvoir travailler à plat ventre ou sur le dos dans un espace de 30 à 40 cm de hauteur.
Ce fut un travail extrêmement pénible que de travailler ainsi à la lueur d’une lape à graisse qui se renversait constamment ou s’éteignait souvent engorgée par la poussière ; position complètement étendue sur une terre farcie de cadavres de rongeurs où nous ne pouvions même pas replier les jambes.
Pour avancer, il nous fallait souvent à l’aide de notre raclette individuelle creuser notre chemin et
il n’était pas question de faire demi-tour ; il fallait ramper à reculons.
Pour déboiser, il fallait nous mettre sur le os et avec un petit pied de biche soulever les planches de leur support transversal, en ayant soin de récupérer tous les clous qui devront nous servir à constituer les planches
à taquet pour boiser le tube.
Au fur et à mesure que nous récupérions les planches, le papier goudronné interposé entre les deux planchers nous tombait sur la figure, gênant considérablement notre travail ; mais qu’en faire ? Il prenait inutilement
de la place. Il nous fallut alors le plier régulièrement afin qu’il tienne le mois de place possible et nous l’enterrions au fur et à mesure que nous bourrions de terre.
Le plus délicat fut de se rappeler constamment que nous devions conserver le plus strict secret et, par suite,
de faire ce travail d’arrachage de clous et de planches sans le moindre bruit. Que l’on s’imagine que nous travaillons juste sous le plancher de chambre qui ne devait à aucun prix connaître notre travail ;
il fallait donc s’ingénier à agir avec la plus grande prudence et, par suite, la plus grande lenteur surtout
dans l’arrachage des clous. Il m’est arrivé de passer plus d’un quart d’heure à travailler sur le même clou pour qu’il n’y ait pas le moindre crissement, surtout lorsque le plus grand silence régnait dans la chambre au-dessus.
Bien entendu, nous avions à faire à es clous entièrement rouillés.
Lorsque nous considérions que nous pouvions agir sans bruit, nous le faisions savoir à nos camarades de chambre qui n’étaient pas en plongée grâce au trou de communication dont j’ai parlé plus haut, et à ce moment-là,
le phono était mis en marche, ils faisaient grand bruit dans notre chambre et souvent même,
un trouvait un prétexte quelconque pour aller dans la chambre voisine sous laquelle nous étions en difficulté ;
et là il s’arrangeait pour distraire leur esprit du silence. A ce moment, nous nous empressions d’arracher le clou réfractaire et le tour était joué.
Les planches, une fois arrachées, étaient conduites à la chambre de départ où nous débitions à la mesure idoine pour boiser le tunnel, grâce à des scies que nous confectionnons nous-mêmes. En effet, nous découpions
une lamelle dans une boîte de conserve, y faisions des dents et la montions sur un petit cadre de bois.
Le lames s’usaient vite, mais elles étaient refaites aussitôt.
Au fur et à mesure du déboisage, nous bourrions avec la terre des déblais amenée de chariot en chariot,
et tassés grâce à nos fameuses raclettes.
Ces fameuses raclettes jouèrent un si grand rôle dans notre travail, que nous en fîmes l’emblème de l’équipe.
Le souvenir de « la raclette » prononcée par Rabin avec son accent Montmartrois restera gravé dans
nos mémoires. |